Le vent rugit en s’engouffrant dans la rue principale. Il joue avec le sable. L’air est sec et aride, plus encore qu’à l’accoutumée. De rares passants s’empressent de se mettre à l’abri, maintenant chapeaux et soulevant jupons. Un chien famélique hurle à la nuit qui tombe.
De mon poste d’observation je contemple la totalité de la rue. Tout est si calme. Le seul bruit qui me parvient est celui du sable tambourinant sur la vitre sans relâche. Encore une journée sans heurt.
Un coup de feu me tire soudain de ma léthargie. Un fusil à canon scié ! Le bruit semble provenir du saloon de l’autre côté de la rue. Pas le temps de réfléchir, j’attrape mon chapeau et je sors.
Le vent mélé de sable me gifle violemment. Penché en deux, je traverse la rue, mi-marchant, mi-courant. Deux coups de feu retentissent encore. Parvenu de l’autre côté, je me déporte vers une fenêtre. Je m’accroupis à sa hauteur pour jeter un coup d’oeil à l’intérieur.
Le nuit qui tombe pare l’intérieur d’une saloon d’une obscurité diffuse et je ne distingue qu’à peine les protagonistes. Deux hommes encagoulés, armés jusqu’aux dents. L’un, monté sur une table, vocifère contre les malheureux clients qui pensaient trouvés là un refuge accueillant contre la tempête. L’autre joue du pied avec le cadavre de celui que je reconnais pour être le propriétaire du saloon.
Je ne saisis pas leur mobile. Le saloon n’est pas la cible révé pour un casse. La banque qui jouxte mon office me parrait beaucoup plus approprié. Alors quoi ?
Je me glisse silencieusement vers la double porte à battants. La situation est perilleuse. S’ils décident d’utiliser des otages, je serais pieds-et-points liés. Seul l’effet de surprise peut me donner un avantage et je ne disposerais donc que d’une seule chance.
Mes doigts sont glacés de serrer si fort les deux colts. Je calcule mes chances. Seulement trois jours que je tiens ce poste. Je tire mentalement à pile ou face pour savoir sur qui tirer le premier. Celui sur la table constitue une belle cible, je vais commencer par l’autre.
Il est un moment ou l’action doit tout supplanter. La réflexion n’est plus de mise. Je me lève et je pousse la porte d’un seul geste, précédé par mes deux revolvers. Leurs bouches crachent les premiers coups de feu. Sans effet. Tandis que je réarme nerveusement les chiens, les deux hommes se tournent vers moi et épaulent. Celui sur la table tire le premier, le coup vient exploser le chambranle de la porte derrière moi.
Je tire à mon tour. Les deux balles viennent le frapper en pleine poitrine. Il effectue quelques pas de côté sur la table avant de s’écrouler sur le parquet. Les heures passées à m’entrainer n’auront pas été vaines.
Le deuxième me tient en joue. Je me jette sous une table. Le coup part, traversant la position que je tenais il y a seulement une seconde. Le souffle court, je réarme mes coups. Un coup d’oeil rapide à la salle, l’homme s’est réfugié derrière le bar.
Je tente le tout pour le tout. Comptant sur le fait qu’il recharge surement, je me lève et court vers le bar. L’effet de surprise toujours, comme me l’a enseigné mon prédecesseur. Paix à son âme…
Mais cette fois-ci, la surprise est pour moi. Alors que je ne suis plus qu’à un mètre du bar, j’apperçois à l’extrémité de mon champ de vision une forme floue qui s’agite. Un troisième homme !
Je sens la douleur avant même d’entendre le coup partir. En un instant ma chemise se couvre de sang, je m’écroule. Trois jours !