Mr Tout-le-monde

Je ne suis pas fou mais ma raison s’égare ;

je ne suis pas obsédé mais j’y pense souvent ;

je ne suis pas voyeur mais la voisine est très aguichante ;

je ne suis pas pédophile mais certaines jeunes filles sont trop attirantes ;

je ne suis pas homo mais je me pose la question ;

je ne suis pas sucidaire mais je souhaite parfois ma mort ;

je ne suis pas asssassin mais je souhaite souvent la leur ;

je ne suis pas maso mais j’apprécie certaines douleurs ;

je ne suis pas sadique mais je contemple leurs souffrances ;

je ne suis pas immortel mais j’ai encore du temps ;

je ne suis pas dépressif mais seulement un peu triste ;

je ne suis pas misanthrope mais j’ai envie de rester seul ;

je ne suis pas xénophobe mais ils me font peur ;

je ne suis pas grand, je ne suis pas petit, je ne suis pas gros, je ne suis pas maigre, je ne suis pas riche, je ne suis pas bête, je ne suis pas intelligent, je ne suis pas pauvre, je ne suis pas beau, je ne suis pas laid ;

je suis comme beaucoup d’autres et ça m’arrange ;

je suis comme tout le monde et ça me vexe..

Mes dernières volontés

Quand je serai un écrivain (plus que) célèbre,

– je veux qu’on fasse poser une plaque commémorative en chaque lieu ou j’aurai posé mes fesses.

– je veux qu’on alloue une pension à tous mes professeurs de lettres.

– je veux être cité dans tous les livres d’Histoire.

– je veux qu’on m’érige une statue monumentale en lieu et place de la statue de la liberté et qu’on en fasse une copie pour toutes les villes côtières.

– je veux qu’on crée une fondation à mon nom, chargée de propager ma bonne parole.

– je veux qu’on fonde une église vouée à mon culte, qu’elle prie pour mon salut et mon génie à chaque minute que crée Dieu. Ce seul maître à bord après moi.

– je veux mon effigie sur chaque pièce de monnaie, chaque billet.

– je veux qu’un prix éponyme récompense exceptionnellement les « pas de géants pour l’humanité ».

– je veux qu’en chaque lieu de ce monde une heure quotidienne soit vouée à ma commémoration.

– je veux que ma naissance soit l’origine absolue de tous les calendriers.

– je veux qu’on envoie continuellement des sondes spatiales chargées de l’ensemble de mon oeuvre coloniser l’Univers.

– je veux que mon nom corps repose dans un mausolée lunaire visible de la Terre.

– je veux que mon nom soit gravé dans les étoiles.

– je veux juste laisser mon nom à la postérité…

L’âme triste

Un café étudiant, il y a foule. Le juke-boxe déverse une musique rythmée à plein volume. Les serveuses courent d’un bout à l’autre de la salle ne laissant jamais un verre se morfondre vide. Les conversations animées vont bon train.

Je suis seul à ma table observant ce beau monde. J’ai bu quelques verres, juste de quoi me démonter légèrement. J’ai envie d’entretenir un peu cette douce mélancolie qui me prend.

Mes yeux se perdent dans une tache liquide sur le rebord de la table. Mes pensées vagabondent. Je pense à tout en même temps. Je refais le monde à ma manière. Je philosophe sans but.

Je n’ai pas envie de rentrer, pas envie de soutenir l’effort d’une discussion. Juste celle d’éprouver cette tristesse vaporeuse qui me prend parfois, d’en goûter tout le sel, toute l’amertume.

Les lumières de la salle se reflètent dans la tache. Le froid me prend soudain. Plutôt que de tenter la retraite, je le laisse me pénétrer. Il s’engage résolument dans mon corps, allant de plus en plus profond. Des frissons me parcourent.

Je ne pense à rien. Tous mes sens sont tendus vers ce nouvel état d’esprit. Je me noie dans la tâche. Mais je ne me débat pas. Pour rien au monde je ne voudrais appeler au secours.

Je veux seulement être seul et triste.

Rambo des bacs à sable

Le jardin public est calme en ce début d’aprés-midi. Un vieux monsieur, le menton appuyé sur sa canne, fait un somme sur un banc. Deux mères de famille discutent marmaille en jetant de temps à autre un coup d’oeil maternel à leurs landaux respectifs. Les deux bambins mèlent leur gazouillis au chant des oiseaux. Un chien renifle les poubelles une à une.

Le bac à sable est presque vide. Un garçon d’une demi-douzaine d’années se dévouvre des talents de batisseur tandis que deux autres du même âge sont accaparés par un duel aux billes. Seules leurs exclamations étouffées devant un coup joliement exécuté viennent parfois briser le silence paisible du square.

L’architecte du bac à sable s’empare soudain d’une pelle en plastique et en frappe rageusement l’édifice instable qu’il vient pourtant de terminer. Pour mieux compléter la déstruction il se lève et saute à pieds joints sur les ruines du chateau.

– On joue? demande-t-il à ses camarades, toujours absorbés par leur jeu.

– A quoi? demandent ceux-là sans relever la tête.

– J’sais pas… A l’Irak?

– Ah non! C’est toujours nous Sadamussene! lance l’un des deux mômes avant de se retourner pour un coup particuliérement difficile.

– Tant pis, alors… Je vais jouer tout seul!

Laissant là les deux autres garçons, le petit bonhomme sort du bac. Il s’engage dans une allée en prenant soin de frapper du pied dans le moindre tas de feuilles mortes. Il s’engage sous le couvert, la tête baissée à la recherche d’un accessoire de jeu.

Il trouve son bonheur au pied d’un arbrisseau, sous la forme d’un bâton. Sa forme évoque, sans discussion possible, celle d’un gros revolver comme les cow-boys à la télé. Immédiatemement consolé, le garçon s’en empare, et vise au hasard. « Pan, pan, pan ! ».

Un oiseau sur un arbre proche tente de couvrir les cris en s’égosillant à son tour. Le marmot ne se laisse pas faire. Après un tour sur lui même, il vise au jugé et tire: « PAN ! » L’oiseau s’étrangle au milieu d’un roucoulement, la tête presque arrachée par l’impact, et tombe de l’arbre comme une pierre.

L’enfant s’approche avec circonspection de la petite tâche rouge sur le gravier. Il tourne autour et finit par toucher la bête du bout de sa chaussure sans provoquer de réaction. Rassuré il envoie la bête à quelques mètres d’un coup de pied bien placé.

Le vieux monsieur sur le banc dort toujours. Silencieusement le môme entreprend de le contourner. Arrivé à hauteur de son dos, il pointe son arme sur le vieillard et appuie sur la détente. Le vieux monsieur semble s’affaler un peu plus sur sa canne tantdis qu’une auréole rouge envahit peu à peu le dos de sa veste.

Le garçon remonte maintenant l’allée. Au bout de celle-ci les deux autres enfants ont apparemment arrété les billes pour s’emparer d’une toupie. L’un des deux est tourné vers l’allée et sourit lorsque le troisième lève son baton à hauteur de sa poitrine sans s’arréter d’avancer.

« PAN ! ». Le sourire du garçon se transforme en rictus tandis qu’il s’abat lourdement sur le sable, les bras en croix. Le troisième surpris se retourne vivement mais il est fauché alors même que son regard croise celui assuré du tireur. Il s’abat à son tour, son corps venant grotesquement s’affaler sur celui de son camarade de jeu.

Le garçon s’avance, tire trois fois dans chaque corps, par précaution, prenant soin à chaque fois d’observer les effets de ses coups sur la chair.

L’une des deux mères arrive en courant, affolée. Elle jette un coup d’oeil aux deux petits corps étendus sur le sable. De stupeur elle se tourne vers le môme qui observe calmement ses réactions. Elle ouvre la bouche, semble vouloir dire quelque chose mais ne trouve pas ses mots. Peu enclin à la discussion, le gamin épaule et tire. Un corps de plus vient joncher le bac.

Le môme hausse les épaules et s’engage dans une allée perpendiculaire. La deuxième mère doit maintenant veiller sur les deux landaus et ne remarque pas son arrivée. Un permier projectile traverse la toile d’un des landaus et la frappe au ventre. Elle se jette en avant tentant de protéger de son coprs les deux bébés. L’enfant couvre les trois pantins d’un feu nourri pendant une dizaine de secondes qui semble une éternité.

La femme est allongée sur le gravier, un bras replié sur la tête comme dans une dernière tentative de se protéger. L’un des landaus est renversé, le deuxième a perdu deux roues et gît en travers de la chaussée. Leurs toiles sont criblées de trous par lesquels suintent de minces filets de sang.

Le calme est revenu sur le square. L’enfant jette négligemment son bâton sur la pelouse. Sa fonction est devenue inutile. Il s’essuie les mains légérement poisseuses sur son short et se dirige vers la sortie du parc. Sans même un regard en arriére, il rejoint la rue et l’activité de la ville. Un sourire de satisfaction enfantine flotte sur ses lèvres.