Cette courte nouvelle est ma participation au concours du festival Paris Polar 2014. La première et la dernière phrase sont imposées.
Les deux hommes patientaient devant un Lavomatic dans lequel se croisait la jeunesse du quartier.
Au milieu du trottoir, le plus vieux des deux, en costume gris, fumait une cigarette. Appuyé sur la vitrine, le deuxième homme, veste en jean, examinait chaque passant. Sous son regard, les rares piétons courbaient la tête et accéléraient leur pas.
Une femme d’une quarantaine d’année sortit du porche de l’immeuble situé à droite de la laverie. Vêtue sobrement et chargée d’une grosse valise, elle semblait aux aguets. Tournant la tête, elle croisa le regard du premier des deux hommes. Puis aperçut le second qui fit un pas vers elle.
La jeune femme jeta la valise qui lui encombrait les bras et se mit à courir. Sans un mot, les deux hommes s’élancèrent à sa suite.
Elle courait vite, les coudes le long du corps. Elle tourna à droite dans la première rue, précédant de quelques mètres ses poursuivants. Après quelques enjambées, l’homme au costume ralentit sa course, s’arrêta puis sortit un téléphone.
La femme maintenait son allure, évitant les obstacles et les passants. L’autre homme la suivait de près sans parvenir à la rattraper.
Elle tourna dans une seconde rue, manqua de glisser sur le pavé mais parvint à se rétablir. L’homme profita des quelques secondes perdues pour l’atteindre. Il l’attrapa par le bras, la projetant avec brutalité contre le mur. La tête de la jeune femme claqua contre la brique. Ses genoux s’affaissèrent. L‘homme lui attrapa les deux bras et lui plia dans le dos.
Le deuxième homme les rejoignit, toujours au téléphone.
— Rue de la ruée, au numéro 42, près du square.
Il raccrocha.
La femme essayait de se débattre mais l’homme à la veste la maintenait fermement contre le mur.
— Lâche-moi. Salaud. Qu’est-ce que vous me voulez ? Lâche-moi ou je crie.
— Crie si ça te chante.
— Tu peux crier. Tout le monde s’en fout.
Une voiture approchait. La femme tenta de se dégager et cria en direction de la voiture :
— Au secours. Aidez-moi !
L’homme à la veste en jean serra un peu plus sa prise sur ses poignets, arrachant un bracelet au passage. La voiture, un break beige, ralentit puis s’arrêta le long du trottoir. Le costume gris fit un signe de tête au chauffeur et ouvrit la porte arrière.
La veste en jean fit pivoter la femme et la poussa brutalement dans la voiture. Elle se débattit sans succès et ne parvint qu’à se cogner la tête contre le montant de la portière, s’assommant presque. Les deux hommes montèrent à leur tour et la voiture redémarra doucement.
La femme était étendue dans ce qui ressemblait à un garage. Elle était seule, couchée sur le sol, les mains et les pieds attachés. Elle essaya d’abord de se relever et d’arracher ses liens. Sans y parvenir ; les nœuds étaient serrés et s’enfoncèrent encore d’avantage dans la chair.
Elle se mit à paniquer. José n’avait pas été long pour retrouver sa trace. Visiblement il la tenait pour responsable et quoi qu’elle fasse, ils la feraient payer. Elle ne parviendrait pas à prouver son innocence.
Elle se mit à crier.
L’homme en gris entra dans la pièce. Il lui décrocha un coup de pied dans les côtes. Elle grogna de douleur.
— Crie. Vas-y, crie. Quand tu seras calmée, on discutera tous les deux.
La femme se tortillait sur le sol.
— Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? Laissez-moi partir.
— Si t’arrêtais déjà de me prendre pour un con. T’avais prévu de t’envoler sans passer rembourser José ? Désolé, c’est raté.
Elle tenta de nier.
— Je ne sais pas qui vous êtes, je le jure. Vous vous trompez, laissez-moi sortir d’ici.
— Tu te répètes et tu me fatigues.
L’homme se retourna pour crier vers la porte :
— Marc, amène-toi.
Une chaise racla sur le sol dans la pièce d’à côté. Après quelques instants, l’homme à la veste s’arrêta sur le seuil.
— Quoi ?
— Madame a oublié qui était José et pourquoi il la cherchait.
— Vrai ? C’est con. Va falloir l’aider un peu, j’imagine.
— Laissez-moi. Laissez-moi, je vous en supplie…
La femme tremblait. L’homme s’approcha d’elle et la fit asseoir sur le sol.
— Regarde-moi bien. Tu es sûre de vouloir jouer à ça ?
Tête baissée, la femme sanglotait, muette.
L’homme au costume gris ramassa une barre métallique sur le sol et la passa à son acolyte.
— Tiens, ça peut servir.
L’homme saisit la femme par les cheveux.
Elle ferma les yeux et murmura à voix basse.
— Mon Dieu, aidez-moi. Vous savez que je ne mérite pas ça. Sauvez-moi.
Elle ouvrit les yeux dans la salle de bains d’un hôtel miteux. D’abord interdite, elle regarda autour d’elle. Lentement, elle prit conscience de son miraculeux salut. Elle avait échappé aux deux hommes, Dieu seul sait comment.
— Qu’est-ce qui m’arrive ?
Toujours chancelante mais presque rassurée, elle s’appuya un instant sur le lavabo et poussa un long soupir. Elle s’aspergea le visage d’eau froide puis passa dans la chambre.
La femme s’allongea sur le lit et examina la situation. Sa libération inexpliquée n’était qu’un bref sursis. Elle venait d’échapper à ces hommes mais ils la retrouveraient vite. La seule issue était de les retrouver avant qu’ils ne le fassent. Prendre l’initiative.
Pendant quelques minutes, la femme resta pensive. Le bruit de la rue lui parvenait tamisé par l’épaisseur des murs. Son regard vagabondait sur le papier. Son souffle s’apaisait peu à peu.
Elle se laissa envahir par le calme ambiant et vida son esprit. Seule existait sa respiration. Inspiration. Expiration. Inspiration. Elle sombra dans une douce torpeur. Et pour la première fois, elle sentit une présence supérieure. Bienveillante. Omnisciente.
D’abord hésitante, la femme fixa un point derrière le plafond. Puis ferma les yeux.
— Vous qui me regardez. Je sais que vous êtes là. Qui êtes-Vous ? Que me voulez-Vous ?
Toute la situation lui apparut d’un coup. Elle se vit allongée dans cette chambre minable. Elle se vit couchée sur le papier. Elle se vit aspirée par la marche inexorable de l’histoire, caractère après caractère, ligne après ligne. Comme à travers Vos yeux.
Elle se vit personnage principal. Elle saisit sa chance.
—Aidez-moi. Où sont-ils ? Comment les retrouver ? Dites-moi.
Au même moment, à quelques centaines de mètre de là, dans l’arrière salle d’un café sordide, les deux hommes attendaient. L’homme à la veste buvait une bière. Chaque gorgée était ponctuée d’un petit claquement de langue satisfait. L’homme au costume gris consultait son téléphone régulièrement, l’air préoccupé.
Un troisième homme entra dans la pièce. La soixantaine. Chauve. Un cou de taureau.
Les deux occupants se raidirent aussitôt.
— Merde. Vous l’aviez et vous la laissez s’échapper. Je dois comprendre quoi ?
L’homme en gris prit la parole.
— On ne sait pas ce qui s’est passé José. Elle a disparu d’un coup. On te jure, c’est dingue.
— Vous faites comme vous voulez mais vous me la retrouvez. Y aura pas de deuxième erreur ou vous le paierez cher.
— On y va tout de suite José. On va fouiller chez elle. On va la retrouver.
Les deux hommes sortirent rapidement de l’arrière-salle.
La femme ouvrit les yeux. De sa chambre d’hôtel, elle avait assisté à toute la scène. Les mots du passage précédent s’étaient imprimés dans son cerveau.
— Merci. J’en sais assez.
La femme acheta un bonnet en laine dans une boutique de la rue. Elle l’enfila puis se plaça dans l’ombre d’un kiosque à journaux à quelques mètres du café. Juste à temps pour voir sortir les deux hommes qui l’avaient enlevé. Ils se dirigèrent vers leur voiture garée là.
Elle attendit quelques instants que le break s’éloigne et s’arracha du kiosque. Elle avança vers le café, jeta un coup d’œil à la salle déserte et poussa la porte.
Elle traversa la salle vide et se dirigea vers la porte du fond. Devant la porte, elle inspira un grand coup. Puis entra.
Le troisième homme était de dos, assis derrière un bureau. A son arrivée, il se retourna. Son visage marqua la surprise :
— Toi ? Comment m’as-tu trouvé ?
— J’ai un informateur bien placé. Il lit entre les lignes.
L’homme se leva et s’approcha d’elle, menaçant.
— Je ne comprends rien à ce que tu racontes. Mais tu es folle d’être venue ici.
— N’approche pas. Je sais que ce sont tes hommes qui m’ont enlevé tout à l’heure. Je ne veux plus jamais les voir. Je veux que vous me laissiez tranquille.
— Sinon quoi ?
La femme eu un petit sourire narquois.
— Sinon, tu meurs ici. Écrasé par la force divine.
Puis s’adressant directement à Vous.
— Écrase-le, mon Dieu, pose ton doigt sur « lui », juste là.
La femme était passée derrière le comptoir. Elle ouvrit le tiroir-caisse et prit les quelques billets qu’il contenait.
Dans la pièce d’à côté, le gérant gisait sur le sol dans une mare de sang, le crâne défoncé.
La femme se mit à fouiller les meubles du bar. Elle marmonnait rageusement.
— Je récupère le pactole du vieux José et je file d’ici. Fin de l’histoire. A moi une nouvelle vie. Je n’ai qu’un geste à faire pour tourner la page.
La femme franchit la porte du café au moment où la voiture des deux hommes se garait devant la vitrine. D’un seul geste, l’homme à la veste en jean sortit de la voiture et l’attrapa par le bras.
Elle éclata de rire tandis qu’il la poussait sans ménagement dans la voiture. Le costume gris se précipita à l’intérieur du café.
La voiture roulait sur une route de campagne. Au volant, l’homme en gris jetait des regards inquiets dans le rétroviseur.
A l’arrière, l’autre homme tenait toujours le bras de la femme. Mais à sa grande surprise, celle-ci restait muette. Un sourire aux lèvres.
L’homme au volant s’énerva.
— Tu as tué José. Tu vas payer.
La femme haussa les épaules puis prononça distinctement.
— Allons à l’essentiel. On peut sauter ce passage ?
La voiture s’engagea sur un chemin de forêt puis s’arrêta. Les deux hommes firent descendre la femme et l’emmenèrent à quelques mètres du chemin. L’homme à la veste la poussa sans ménagement sur le sol terreux. Elle tomba sur les genoux. Sans se départir de son sourire victorieux.
L’homme au costume gris sortir un revolver de sa poche et l’appuya sur la tempe de la femme.
— Tu vas mourir ici. Comme tu as tué José.
— Vous ne pouvez rien contre moi. Je suis l’héroïne de l’histoire.
— Tu es complétement folle. Ton histoire se termine ici, point final.
Elle comprit qu’elle n’avait le droit qu’à une courte nouvelle.
Elle leva les yeux vers la cime des arbres mais Dieu ne fit pas un geste dans sa direction.
FIN