Parmi les choses qui donnent bon goût à la collocation, la mise en commun des bibliothèques est source d’heureuses surprises. Pouvoir, comme à la bilbliothèque de quartier, laisser choisir le hasard, laisser parler l’envie, s’arrêter sur une couverture, un titre, un nom, un livre sans autre risque que celui de le replacer silencieusement sur son étagère le lendemain. Avec comme indice supplémentaire, le fait même de le trouver là, sélectionné, acheté, parcouru par quelqu’un qu’on connaît, qui nous ressemble sans doute un peu, avec qui on partage déjà et avec qui on pourra partager notre nouvelle lecture. Comme un comité de sélection maison.
La semaine dernière, je tombe de la sorte sur Les choses de Georges Pérec. Ce livre avait déjà croisé ma route (ou est-ce l’inverse ?) au détour d’une citation ou d’un rayonnage mais je n’avais encore jamais pris le temps de le découvrir pour lui-même. Ce matin là, parmi les tranches, je survole distraitement son titre, continue ma recherche, j’y reviens, déclic, je l’extrais du rang, le soupèse, le juge, l’élit, l’emporte ; je le dévore.
Se reconnaître dans ce qu’on lit, s’y retrouver tel qu’on n’aurait jamais su se décrire, réaliser ce qu’on n’aurait jamais voulu entendre, c’est tout ce qu’a suscité chez moi cette lecture. Pourquoi me suis-je donc retrouvé dans la chronique ordinaire d’un jeune couple en 1965 ? Parce que les expériences vécues et reêvées de ce couple et de leur cercle d’amis m’ont semblé correspondre très (trop) précisément à ce que je vis et à ce que tu vis sans-doute toi aussi, membre du cercle :
Ce couple parisien vrai-faux-bobo, bourgeois-manqué, limite-intello, qui vit libre par défaut, heureux mais honteux de désirer plus, dans l’attente d’un improbable accomplissement, réfugié dans les habitudes, les convenances et le refus de celles-ci. Ils aiment le cinéma, bouquinent, fréquentent un musée de temps à autres mais préfèrent les petits troquets, aiment boirent, fumer, discuter, ils se veulent connaisseurs, ouvrent une bonne bouteille de vin et s’autorisent à la boire accompagnée d’un camembert premier prix, voudraient être écrivains, faire de l’humanitaire, s’engager politiquement, partir…
Sans faux apitoiement sur moi même, ce livre pose une (la) question qui me revient souvent : doit-on se battre pour une vie rêvée ? Doit on sacrifier le délicat instant présent pour une sans doute inaccessible belle image ? En vaut-elle vraiment la peine ? N’est-ce qu’un mirage ? Le bonheur est-il dans le dépassement de soi ? Ou dans l’humilité d’une vie savourée pour ce qu’elle est ?
Douloureuse question à laquelle ce livre ne répond certes pas. Mais cette analyse quasi-sociologique d’une jeunesse cultivée et défaitiste en manque de repères constitue la formidable première partie de ce roman ; la seconde abordant un initiatique et révélateur départ pour la Tunisie, ce qui (jusqu’à maintenant) me correspond beaucoup moins.