À la bonne heure

N’allez pas croire que le constat en apparence pessimiste de la semaine dernière semaine d’avant m’empêche d’être heureux. Au contraire, cette volontaire prise de conscience de mes limites est bénéfique car elle me réconcilie avec ma vie. La pire façon d’exister serait de se réfugier dans une logique plaintive, estimer ce qui me manque comme indispensable, tout gêcher par orgueil, faire de la frustration le faux moteur. Pas de peut-être, pas de mal-être. Alors certes, un pincée d’amertume de temps en temps est salvatrice, comme une échappée de souffre qui prétend au malheur et par là à la considération de mes pairs et de moi-même, comme une participation douloureuse à la nature écrasante de l’humanité. Mais je ne l’oublie pas, je ne peux pas l’oublier, la vie est à la fête. Avec le peu d’expérience qui est mien, je crois même aujourd’hui tendre lentement vers une sagesse réaliste mais pas résignée, une plénitude, un contentement de soi, du cadre et des autres. Pas de l’orgueil mais une douce estime. Je ne suis pas ce que j’aurais pu être, je n’aurai jamais tenté qu’une infime fraction des expériences possibles, je ne suis que moi même maintenant et ici. Comment pourrais-je un instant le regretter ? La vie est un miracle, l’oublier une tragédie. L’existence est courte et futile, la mettre en scène un travers tentant. Dure serait la chute du masque, marchons plutôt à visage découvert.

Lundi 24 – …

Trois semaines sans billet. Non pas que je n’avais rien à dire. Comme les semaines précédentes, j’aurai pu péniblement arracher quelques minutes de motivation à mes WE en fuite pour faire la liste de mes activités / découvertes. Mais une fois encore sur ce carnet en phase, le cycle euphorie du débutant > efficacité tenue > efficacité ténue > perte de rythme > manque de soufle > immobilisme amer a fait long feu.

J’ai une vie miraculeusement facile, pas de soucis, pas d’ennuis, des facilités, des possibilités, une chance inouïe. Du temps pour m’écouter, trop sans doute ; des envies sourdes maintenues muettes ; des revendications futiles ; une culpabilité déplacée. J’ai aussi le droit à ma part de souffrances. L’impression d’exister tient à ça. Le bonheur en haute estime / la rancoeur en faire-valoir.

Geroges Perec – Les choses

Parmi les choses qui donnent bon goût à la collocation, la mise en commun des bibliothèques est source d’heureuses surprises. Pouvoir, comme à la bilbliothèque de quartier, laisser choisir le hasard, laisser parler l’envie, s’arrêter sur une couverture, un titre, un nom, un livre sans autre risque que celui de le replacer silencieusement sur son étagère le lendemain. Avec comme indice supplémentaire, le fait même de le trouver là, sélectionné, acheté, parcouru par quelqu’un qu’on connaît, qui nous ressemble sans doute un peu, avec qui on partage déjà et avec qui on pourra partager notre nouvelle lecture. Comme un comité de sélection maison.

La semaine dernière, je tombe de la sorte sur Les choses de Georges Pérec. Ce livre avait déjà croisé ma route (ou est-ce l’inverse ?) au détour d’une citation ou d’un rayonnage mais je n’avais encore jamais pris le temps de le découvrir pour lui-même. Ce matin là, parmi les tranches, je survole distraitement son titre, continue ma recherche, j’y reviens, déclic, je l’extrais du rang, le soupèse, le juge, l’élit, l’emporte ; je le dévore.

Se reconnaître dans ce qu’on lit, s’y retrouver tel qu’on n’aurait jamais su se décrire, réaliser ce qu’on n’aurait jamais voulu entendre, c’est tout ce qu’a suscité chez moi cette lecture. Pourquoi me suis-je donc retrouvé dans la chronique ordinaire d’un jeune couple en 1965 ? Parce que les expériences vécues et reêvées de ce couple et de leur cercle d’amis m’ont semblé correspondre très (trop) précisément à ce que je vis et à ce que tu vis sans-doute toi aussi, membre du cercle :

Ce couple parisien vrai-faux-bobo, bourgeois-manqué, limite-intello, qui vit libre par défaut, heureux mais honteux de désirer plus, dans l’attente d’un improbable accomplissement, réfugié dans les habitudes, les convenances et le refus de celles-ci. Ils aiment le cinéma, bouquinent, fréquentent un musée de temps à autres mais préfèrent les petits troquets, aiment boirent, fumer, discuter, ils se veulent connaisseurs, ouvrent une bonne bouteille de vin et s’autorisent à la boire accompagnée d’un camembert premier prix, voudraient être écrivains, faire de l’humanitaire, s’engager politiquement, partir…

Sans faux apitoiement sur moi même, ce livre pose une (la) question qui me revient souvent : doit-on se battre pour une vie rêvée ? Doit on sacrifier le délicat instant présent pour une sans doute inaccessible belle image ? En vaut-elle vraiment la peine ? N’est-ce qu’un mirage ? Le bonheur est-il dans le dépassement de soi ? Ou dans l’humilité d’une vie savourée pour ce qu’elle est ?

Douloureuse question à laquelle ce livre ne répond certes pas. Mais cette analyse quasi-sociologique d’une jeunesse cultivée et défaitiste en manque de repères constitue la formidable première partie de ce roman ; la seconde abordant un initiatique et révélateur départ pour la Tunisie, ce qui (jusqu’à maintenant) me correspond beaucoup moins.

Jeu, Sept et Mots

On me joint à la partie : trouver 7 mots qui retiennent notre attention, les présenter ici, je vais jouer le jeu !

chuchoter (ou murmurer) : comment rester de marbre face à ces mots si doux ? ces mots qui s’expriment, qui jouent de leur sonorité pour mieux s’imager… quel plaisir littéraire serait réellement comparable à celui de prononcer « chuchoter » en chuchotant ?

pétarader : à l’autre extrémité des mots doux cités au dessus, je suis tout également conquis par les mots secs, violents qui, là encore, apportent leur sonorité à l’image ! Parmi ceux-là, le mot « pétarader » (« Faire une série de détonations, de bruits secs et violents » d’après le TLFi) me plaît tout particulièrement, j’ignore pourquoi… proche de celui-ci j’aime à retrouver dans mes lectures le parler argotique. Celui qui flaire bon le polar populaire, la série noire poisseuse. Je pense à des mots comme « pekin » (pour un passant), « alpaguer » (pour arréter), « espingouin » (pour espagnol), « eustache » (pour couteau), « pétard » (pour un pistolet), « mettre au parfum », etc. Ça donne envie d’aller lire du Manchette ou du Malet non ? illustré par Tardi ou pas 🙂

apopathodiaphulatophobie : comme les noms de collectionneurs, ceux des peurs (phobies) forment une jolie galerie de mots bizarres, à rallonge et sans qu’on ne puisse entrevoir d’où proviennent toutes ces syllabes. Parmi ceux-là, j’avais repéré une fois l’apopathodiaphulatophobie ou « peur de la constipation », non pour sons sens mais pour pouvoir le ressortir en société (à prononcer très vite pour aider l’effet). Donc pas de raison de se priver de le placer ici !

salmigondis : au sens propre, « ragoût constitué de différentes viandes réchauffées », au sens figuré, « assemblage disparate, mélange confus de choses ou de personnes ; ramassis d’idées, de paroles ou d’écrits formant un tout disparate et incohérent » (déf. TLFi). Mais où vont-ils chercher tout ça ?? Fait partie des jolis mots parce que tordus, peu usités.. à ranger avec « élucubrations »…

cruciverbiste et verbicruciste : parmi les bizarreries (attachantes einh !) de la langue française, j’affectionne tout particulièrement cette paire de mots autour des mots (« verbes »)-croisés. Le premier pour les amateurs du jeu et le second pour ses auteurs ! Vous le saviez ?

obnubiler : il fait partie de ces mots que j’aimerai employer mais dont je doute trop de l’orthographe pour oser. A force de lire trop vite, je ne retiens que la forme du mot et j’en mélange les syllabes.. Ainsi je dis « obnibuler » ou « déceper » (pour « dépecer ») ou « sillybin » (pour « sibyllin ») sans réussir à me corriger… On a tous ses mots pièges apparemment ! 🙂

rébarbajoie : mot-valise exprimé malgré moi un soir de fatigue… J’aime aussi beaucoup les sonorités provoquées par le mots-valises (on appelle « mot-valise » un mot formé par le télescopage de deux mots pour n’en former qu’un seul comme dans « photocopillage » ou « adulescent » par exemple)… Je me sens obligé de citer ce fameux « alcoolyte » (compagnon de boisson).

Brr Tchi Poum ! : plus qu’un mot, c’est un cri de guerre, allez comprendre !

Oui ça fait 8 et alors ?

Polémiquons

Il paraîtrait, et je tiens ça de source fiable, que j’ai tendance à amener la conversation sur des sujets polémiques insolubles, juste pour le plaisir de parler…

Je ne m’en défendrai pas. Il est évident que parler (comme écrire) reste un de mes grands plaisirs avec tout ce que ça peut comporter d’ennui chez mes interlocuteurs.

Mais si j’aborde souvent certains thèmes si polémiques, c’est aussi parce que je reste médusé par leur absence flagrante de conclusion possible. Ces sujets sont rendus récurrents par le fait même qu’ils ne trouvent jamais réponse.

La laïcité, le droit d’ingérence ou le conflit israélo-palestinien me paraissent, par exemple, des sujets qui n’entaînent d’opinions que celles énoncées unilatéralement. Ces sujets sensibles, aussi inscrits dans notre société soient-ils, semblent ne jamais pouvoir entraîner de position juste, et ceci queque soit le niveau d’information acquis. Cette caractéristique me sidère et la profondeur de mon étonnement m’amène effectivement souvent à l’exprimer en public. Comment peut on envisager sereinement que des problèmes de société aussi structurants ne pourront jamais qu’être partiellement solutionnés ?

Bien sur, je possède des avis sur ces questions, mais après analyse, ils se révèlent tout aussi subjectifs que ceux de n’importe qui d’autre ; sans doute fruit de mon éducation, de mon histoire, de mes références, mais en aucun cas recevables par tous. Je ne cherche donc pas à faire partager mon avis sur la question mais bien l’humilité et le souci d’objectivité que chacun doit, à mon avis, entretenir sur de tels sujets.