L’âme triste

Un café étudiant, il y a foule. Le juke-boxe déverse une musique rythmée à plein volume. Les serveuses courent d’un bout à l’autre de la salle ne laissant jamais un verre se morfondre vide. Les conversations animées vont bon train.

Je suis seul à ma table observant ce beau monde. J’ai bu quelques verres, juste de quoi me démonter légèrement. J’ai envie d’entretenir un peu cette douce mélancolie qui me prend.

Mes yeux se perdent dans une tache liquide sur le rebord de la table. Mes pensées vagabondent. Je pense à tout en même temps. Je refais le monde à ma manière. Je philosophe sans but.

Je n’ai pas envie de rentrer, pas envie de soutenir l’effort d’une discussion. Juste celle d’éprouver cette tristesse vaporeuse qui me prend parfois, d’en goûter tout le sel, toute l’amertume.

Les lumières de la salle se reflètent dans la tache. Le froid me prend soudain. Plutôt que de tenter la retraite, je le laisse me pénétrer. Il s’engage résolument dans mon corps, allant de plus en plus profond. Des frissons me parcourent.

Je ne pense à rien. Tous mes sens sont tendus vers ce nouvel état d’esprit. Je me noie dans la tâche. Mais je ne me débat pas. Pour rien au monde je ne voudrais appeler au secours.

Je veux seulement être seul et triste.

Rambo des bacs à sable

Le jardin public est calme en ce début d’aprés-midi. Un vieux monsieur, le menton appuyé sur sa canne, fait un somme sur un banc. Deux mères de famille discutent marmaille en jetant de temps à autre un coup d’oeil maternel à leurs landaux respectifs. Les deux bambins mèlent leur gazouillis au chant des oiseaux. Un chien renifle les poubelles une à une.

Le bac à sable est presque vide. Un garçon d’une demi-douzaine d’années se dévouvre des talents de batisseur tandis que deux autres du même âge sont accaparés par un duel aux billes. Seules leurs exclamations étouffées devant un coup joliement exécuté viennent parfois briser le silence paisible du square.

L’architecte du bac à sable s’empare soudain d’une pelle en plastique et en frappe rageusement l’édifice instable qu’il vient pourtant de terminer. Pour mieux compléter la déstruction il se lève et saute à pieds joints sur les ruines du chateau.

– On joue? demande-t-il à ses camarades, toujours absorbés par leur jeu.

– A quoi? demandent ceux-là sans relever la tête.

– J’sais pas… A l’Irak?

– Ah non! C’est toujours nous Sadamussene! lance l’un des deux mômes avant de se retourner pour un coup particuliérement difficile.

– Tant pis, alors… Je vais jouer tout seul!

Laissant là les deux autres garçons, le petit bonhomme sort du bac. Il s’engage dans une allée en prenant soin de frapper du pied dans le moindre tas de feuilles mortes. Il s’engage sous le couvert, la tête baissée à la recherche d’un accessoire de jeu.

Il trouve son bonheur au pied d’un arbrisseau, sous la forme d’un bâton. Sa forme évoque, sans discussion possible, celle d’un gros revolver comme les cow-boys à la télé. Immédiatemement consolé, le garçon s’en empare, et vise au hasard. « Pan, pan, pan ! ».

Un oiseau sur un arbre proche tente de couvrir les cris en s’égosillant à son tour. Le marmot ne se laisse pas faire. Après un tour sur lui même, il vise au jugé et tire: « PAN ! » L’oiseau s’étrangle au milieu d’un roucoulement, la tête presque arrachée par l’impact, et tombe de l’arbre comme une pierre.

L’enfant s’approche avec circonspection de la petite tâche rouge sur le gravier. Il tourne autour et finit par toucher la bête du bout de sa chaussure sans provoquer de réaction. Rassuré il envoie la bête à quelques mètres d’un coup de pied bien placé.

Le vieux monsieur sur le banc dort toujours. Silencieusement le môme entreprend de le contourner. Arrivé à hauteur de son dos, il pointe son arme sur le vieillard et appuie sur la détente. Le vieux monsieur semble s’affaler un peu plus sur sa canne tantdis qu’une auréole rouge envahit peu à peu le dos de sa veste.

Le garçon remonte maintenant l’allée. Au bout de celle-ci les deux autres enfants ont apparemment arrété les billes pour s’emparer d’une toupie. L’un des deux est tourné vers l’allée et sourit lorsque le troisième lève son baton à hauteur de sa poitrine sans s’arréter d’avancer.

« PAN ! ». Le sourire du garçon se transforme en rictus tandis qu’il s’abat lourdement sur le sable, les bras en croix. Le troisième surpris se retourne vivement mais il est fauché alors même que son regard croise celui assuré du tireur. Il s’abat à son tour, son corps venant grotesquement s’affaler sur celui de son camarade de jeu.

Le garçon s’avance, tire trois fois dans chaque corps, par précaution, prenant soin à chaque fois d’observer les effets de ses coups sur la chair.

L’une des deux mères arrive en courant, affolée. Elle jette un coup d’oeil aux deux petits corps étendus sur le sable. De stupeur elle se tourne vers le môme qui observe calmement ses réactions. Elle ouvre la bouche, semble vouloir dire quelque chose mais ne trouve pas ses mots. Peu enclin à la discussion, le gamin épaule et tire. Un corps de plus vient joncher le bac.

Le môme hausse les épaules et s’engage dans une allée perpendiculaire. La deuxième mère doit maintenant veiller sur les deux landaus et ne remarque pas son arrivée. Un permier projectile traverse la toile d’un des landaus et la frappe au ventre. Elle se jette en avant tentant de protéger de son coprs les deux bébés. L’enfant couvre les trois pantins d’un feu nourri pendant une dizaine de secondes qui semble une éternité.

La femme est allongée sur le gravier, un bras replié sur la tête comme dans une dernière tentative de se protéger. L’un des landaus est renversé, le deuxième a perdu deux roues et gît en travers de la chaussée. Leurs toiles sont criblées de trous par lesquels suintent de minces filets de sang.

Le calme est revenu sur le square. L’enfant jette négligemment son bâton sur la pelouse. Sa fonction est devenue inutile. Il s’essuie les mains légérement poisseuses sur son short et se dirige vers la sortie du parc. Sans même un regard en arriére, il rejoint la rue et l’activité de la ville. Un sourire de satisfaction enfantine flotte sur ses lèvres.

Si je serais grand, je serais INVINCIBLE !

Le vent rugit en s’engouffrant dans la rue principale. Il joue avec le sable. L’air est sec et aride, plus encore qu’à l’accoutumée. De rares passants s’empressent de se mettre à l’abri, maintenant chapeaux et soulevant jupons. Un chien famélique hurle à la nuit qui tombe.

De mon poste d’observation je contemple la totalité de la rue. Tout est si calme. Le seul bruit qui me parvient est celui du sable tambourinant sur la vitre sans relâche. Encore une journée sans heurt.

Un coup de feu me tire soudain de ma léthargie. Un fusil à canon scié ! Le bruit semble provenir du saloon de l’autre côté de la rue. Pas le temps de réfléchir, j’attrape mon chapeau et je sors.

Le vent mélé de sable me gifle violemment. Penché en deux, je traverse la rue, mi-marchant, mi-courant. Deux coups de feu retentissent encore. Parvenu de l’autre côté, je me déporte vers une fenêtre. Je m’accroupis à sa hauteur pour jeter un coup d’oeil à l’intérieur.

Le nuit qui tombe pare l’intérieur d’une saloon d’une obscurité diffuse et je ne distingue qu’à peine les protagonistes. Deux hommes encagoulés, armés jusqu’aux dents. L’un, monté sur une table, vocifère contre les malheureux clients qui pensaient trouvés là un refuge accueillant contre la tempête. L’autre joue du pied avec le cadavre de celui que je reconnais pour être le propriétaire du saloon.

Je ne saisis pas leur mobile. Le saloon n’est pas la cible révé pour un casse. La banque qui jouxte mon office me parrait beaucoup plus approprié. Alors quoi ?

Je me glisse silencieusement vers la double porte à battants. La situation est perilleuse. S’ils décident d’utiliser des otages, je serais pieds-et-points liés. Seul l’effet de surprise peut me donner un avantage et je ne disposerais donc que d’une seule chance.

Mes doigts sont glacés de serrer si fort les deux colts. Je calcule mes chances. Seulement trois jours que je tiens ce poste. Je tire mentalement à pile ou face pour savoir sur qui tirer le premier. Celui sur la table constitue une belle cible, je vais commencer par l’autre.

Il est un moment ou l’action doit tout supplanter. La réflexion n’est plus de mise. Je me lève et je pousse la porte d’un seul geste, précédé par mes deux revolvers. Leurs bouches crachent les premiers coups de feu. Sans effet. Tandis que je réarme nerveusement les chiens, les deux hommes se tournent vers moi et épaulent. Celui sur la table tire le premier, le coup vient exploser le chambranle de la porte derrière moi.

Je tire à mon tour. Les deux balles viennent le frapper en pleine poitrine. Il effectue quelques pas de côté sur la table avant de s’écrouler sur le parquet. Les heures passées à m’entrainer n’auront pas été vaines.

Le deuxième me tient en joue. Je me jette sous une table. Le coup part, traversant la position que je tenais il y a seulement une seconde. Le souffle court, je réarme mes coups. Un coup d’oeil rapide à la salle, l’homme s’est réfugié derrière le bar.

Je tente le tout pour le tout. Comptant sur le fait qu’il recharge surement, je me lève et court vers le bar. L’effet de surprise toujours, comme me l’a enseigné mon prédecesseur. Paix à son âme…

Mais cette fois-ci, la surprise est pour moi. Alors que je ne suis plus qu’à un mètre du bar, j’apperçois à l’extrémité de mon champ de vision une forme floue qui s’agite. Un troisième homme !

Je sens la douleur avant même d’entendre le coup partir. En un instant ma chemise se couvre de sang, je m’écroule. Trois jours !

Nouvelles du monde

Comme chaque jour, je me connecte à Internet, parfois le seul lien qui me reste avec mon monde. Comme chaque fois, je lance machinalement mon client IRC tandis que je consulte mes mails. Comme souvent je me rend sur la page du quotidien « le monde ». Là je ne jette pourtant qu’un coup d’oeil discret à la une. La raison de ma venue ? Les dessins du jour et l’article décalé.

Une roquette artisanale de type Qassam tirée dimanche à partir du nord de la bande de Gaza. Le président colombien aurait échappé à un attentat. Election présidentielle au Rwanda : douze représentants de l’opposition arrêtés. Le directeur de l’usine Flodor de Péronne a été mis en examen. Un groupe salafiste revendique l’enlèvement des otages du Sahara. Les orages ont fait un mort et d’importants dégâts. Arrestation en Grèce de l’ancien magnat russe des médias…

Les mêmes mots, les mêmes images, les mêmes faits. L’actualité est un éternel balet de faits-divers avariés. Tout ce cirque est tellement routinier que personne n’y prête plus attention. Le même « 20h » passé en boucle tous les soirs, vu par tout-le-monde mais regardé par personne. Cette actualité est d’un ennuyeux scandaleux.

Je préfère de loin accorder mon attention à l’anecdotique, m’attarder sur le futile pittoresque. L’actualité parrallèle mèle merveilleux et ridicule. J’y trouve enfin mon compte. Notre monde ne tourne pas rond, mais on peut encore en rire. C’est salvateur…

Un jour, un blog…

Le blog, invention caractéristique de notre temps. Tout le monde il est beau, tout le monde il est auteur… Ma vie mérite d’être étalée, mon talent d’éclater au grand jour.

Toute l’ironie du principe réside en une phrase: « personne ne me lira mais tout le monde pourra me lire ! ». Le lecteur reste anonyme, la critique inexistante. Je me berce de doux mensonges. Mon blog est lu est relu, je suis le nouvel auteur à la mode.

Je suis nul. Bassesses à but attractif, je teste tout-à-tour la provoc’ facile, le sentimentalisme exacerbé, le brumeux pompeux. J’ai trouvé ma vocation, je serai bloggeur incompris papa ! Mais l’incompréhension n’est elle pas le dernier rempart de l’auteur moderne face à la médiocrité des masses ?

Observez cette dernière phrase, mélant clichés et métaphores. Je déteste ce travers et je l’affectionne tellement. Masturbation intellectuelle ? sans-doute mais quel plaisir ! Un peu d’indulgence, je débute…

Comment vous faire rester ? Comment suciter l’intérêt ? Ma vie, c’est bien peu, la romancer, c’est mieux ! Le vrai est spectacle et je ne vous connais pas. Rien à déméler, tout est imbriqué. Essaye encore. Reviens. Reste un peu…