Caméra au poing

Une rue sombre bordée de quelques lampadaires. Caméra au ras du sol dans la perspective de la rue, légère contre-plongée. Pas un chat, pas un bruit.

Une double-lueur au coin de la rue apparaît. La silhouette d’une voiture se découpe sur la lumière de l’enseigne d’un café. Une Mustang Shelby. Elle tourne. A quelques dizaines de mètres de la caméra, le conducteur coupe les phares, on ne distingue pas son visage.

Elle ralentit silencieusement pour venir se garer le long du trotoir. Le cheval du logo emplit l’écran.

Caméra toujours au ras du sol, gros plan sur le bas de la portière. Elle s’ouvre. Un premier pied puis un deuxième se posent sur le macadam, chaussures vernies italiennes.

Travelling vertical. Longue gabardine, mains dans les poches. Col relevé, menton volontaire, cigare aux lèvres. Yeux froids et calculateurs, chapeau de feutre mou.

Plan américain, il jette un coup d’oeil, gauche, droite. Plan d’ensemble, il traverse la rue. Vue subjective, il enfonce la mince porte de tôle d’un coup de pied rageur.

Plans saccadés, à l’intérieur. Quatre homme se lèvent et attrapent leurs armes. Coups de feu, rafale. Un homme s’écroule immédiatement, ralenti sur la chute. Eclairs lumineux, la poudre s’exprime.

Les hommes tombent un à un. Ils jonchent le sol. Gros plan sur le héros :

– césuikiledikilié

Timothée

Comment décrire son arrivée ? Nous ne le connaissions pas, nous ne l’avions jamais vu mais sa présence s’est révélée subitement. En un instant il est devenu membre de nos vies comme s’il avait toujours été là.

Nous étions jeunes, en primaire. Pendant la récré, nous jouions aux billes, au chat, enfin à tous ces trucs que l’on regrette une fois adolescent. Tout absorbés à nos démonstrations d’adresse, nous ne prêtions que peu d’attention à nos petits camarades.

Mais l’une de nos billes vint heurter les pieds d’un petit garçon. Il semblait suivre la partie depuis déjà longtemps. Il ne parlait pas et nous ne le connaissions pas. Je n’osais pas récupérer la bille et un silence gêné s’installa.

Alors, lentement, il se baissa et prit la bille dans le creux de sa main. Il la porta à ses lèvres et lui souffla doucement dessus. Il semblait totalement absorbé par son geste. Nous ne pipions mot, ébahis. Il fit ensuite rouler la petite sphère de verre sur sa paume, lentement puis de plus en plus vite.

Enfin, il arrêta son jeu, et tendit la main vers moi :

– Tiens.

Je la pris sans mot dire. De ce jour, nous acceptâmes sa présence continue à nos côtés, ses remarques rares et sibyllines, son indifférence appuyée. Lorsque nous tentions d’en apprendre sur lui, nous nous heurtions toujours à son mutisme. Les gens à qui nous en parlions, déclaraient toujours ne l’avoir jamais vu.

Un jour, au bout d’un an de sa présence sans même connaitre son prénom, il nous annonça « vous pouvez m’appeler Timothée ». C’était sa décision, le fruit de sa réflexion. Nous ne l’appelâmes plus autrement…

Litotes funèbres

Comment vous dire ? Il est…

Il nous a quitté il y a peu. Il est monté au ciel. Il est parti pour toujours. Il s’est éteint dans sa quarante-deuxième année. Il a cassé sa pipe. Il a été fauché dans la force de l’âge. Il a été emporté trop jeune. Il est disparu trop vite. Il a été emporté par la maladie. Il a cessé de vivre. Il a rendu son dernier soupir. Il a vécu ses derniers instants. Il s’est endormi à jamais. Il a plongé dans le repos éternel. Il est sorti les pieds devant. Il a été rappelé à Dieu. Il a rendu l’âme.

Il est mort… tout simplement ?

Mr Tout-le-monde

Je ne suis pas fou mais ma raison s’égare ;

je ne suis pas obsédé mais j’y pense souvent ;

je ne suis pas voyeur mais la voisine est très aguichante ;

je ne suis pas pédophile mais certaines jeunes filles sont trop attirantes ;

je ne suis pas homo mais je me pose la question ;

je ne suis pas sucidaire mais je souhaite parfois ma mort ;

je ne suis pas asssassin mais je souhaite souvent la leur ;

je ne suis pas maso mais j’apprécie certaines douleurs ;

je ne suis pas sadique mais je contemple leurs souffrances ;

je ne suis pas immortel mais j’ai encore du temps ;

je ne suis pas dépressif mais seulement un peu triste ;

je ne suis pas misanthrope mais j’ai envie de rester seul ;

je ne suis pas xénophobe mais ils me font peur ;

je ne suis pas grand, je ne suis pas petit, je ne suis pas gros, je ne suis pas maigre, je ne suis pas riche, je ne suis pas bête, je ne suis pas intelligent, je ne suis pas pauvre, je ne suis pas beau, je ne suis pas laid ;

je suis comme beaucoup d’autres et ça m’arrange ;

je suis comme tout le monde et ça me vexe..

Mes dernières volontés

Quand je serai un écrivain (plus que) célèbre,

– je veux qu’on fasse poser une plaque commémorative en chaque lieu ou j’aurai posé mes fesses.

– je veux qu’on alloue une pension à tous mes professeurs de lettres.

– je veux être cité dans tous les livres d’Histoire.

– je veux qu’on m’érige une statue monumentale en lieu et place de la statue de la liberté et qu’on en fasse une copie pour toutes les villes côtières.

– je veux qu’on crée une fondation à mon nom, chargée de propager ma bonne parole.

– je veux qu’on fonde une église vouée à mon culte, qu’elle prie pour mon salut et mon génie à chaque minute que crée Dieu. Ce seul maître à bord après moi.

– je veux mon effigie sur chaque pièce de monnaie, chaque billet.

– je veux qu’un prix éponyme récompense exceptionnellement les « pas de géants pour l’humanité ».

– je veux qu’en chaque lieu de ce monde une heure quotidienne soit vouée à ma commémoration.

– je veux que ma naissance soit l’origine absolue de tous les calendriers.

– je veux qu’on envoie continuellement des sondes spatiales chargées de l’ensemble de mon oeuvre coloniser l’Univers.

– je veux que mon nom corps repose dans un mausolée lunaire visible de la Terre.

– je veux que mon nom soit gravé dans les étoiles.

– je veux juste laisser mon nom à la postérité…